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Métiers de l’image animée : convergence des filières et des compétences
Depuis quelques mois nous sommes entrés en conversation avec les professionnel·les des filières de l’image animée autour d’une question initiale qui n’a cessé de se ramifier : quelles compétences et talents feront le succès des entreprises dans les années qui viennent ?
Ces échanges font partie du travail de fond que nous menons pour construire nos parcours de formation dans le cadre de la Grande Fabrique de l’Image dont nous sommes lauréats. Mais leur intérêt justifie un partage plus large, que nous commençons ici et poursuivrons régulièrement pour que la conversation s’élargisse.
Les professionnels cités dans cet article sont :Sébastien Beck, producteur associé (Hyperfiction), Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films), Julien Villedieu, conseil en stratégie et financement pour le jeu vidéo (Level Link Partners), Baptiste Heynemann, délégué général (CST), Stéphane Natkin, enseignant, fondateur de l’ENJMIN.
Les filières du cinéma et de l’image animée dessinent un paysage composite, chacune ancrée dans son histoire, sa culture, ses techniques, ses figures, ses œuvres culte, sa sociologie, ses écoles.
Pour un œil extérieur, elles peuvent paraître former un seul et grand secteur, mais leurs spécificités sont marquées et semblent se raviver à chaque bouleversement majeur, que ce soit l’irruption du numérique ou celles de l’interactivité, des réseaux et plus récemment des plateformes de streaming. La formation des talents reste donc en grande partie spécialisée et “en silos”, dans le but de répondre aux besoins spécifiques de l’animation, du jeu vidéo, des effets spéciaux pour le cinéma et les séries, ou des réalités virtuelle et augmentée.
Cependant, une nouvelle occasion de convergence se fait jour, qui tient désormais moins à l’économie – via la déclinaison des licences sur différents supports – qu’aux technologies de production elles-mêmes. En effet, les moteurs temps réel venus du jeu vidéo trouvent désormais leur application dans tous les secteurs, rendant du même coup certaines compétences transversales. L’IA générative est appelée elle aussi à bousculer les savoir-faire et à propager ses méthodes, nivelant au passage quantité de processus créatifs.
Une fusion des compétences techniques entraînera-t-elle une mobilité des talents entre les filières, et avec elle la concrétisation d’une convergence longtemps promise ?
Convergence des outils mais pas toujours des savoir-faire
“Si les outils sont les mêmes, la façon de les utiliser reste encore différente”
Sébastien Beck
Producteur et créateur de VR, Sébastien Beck pose tout de suite une limite : les filières partagent certes de plus en plus d’outils, que ce soit pour modéliser (Blender), texturer (Substance), ou pour intégrer les assets, animer et opérer le rendu (Unity semble être la solution la plus courante), mais si les outils sont les mêmes, la façon de les utiliser reste encore différente.
Par exemple, développer pour un casque de VR autonome qui embarque le même processeur qu’un smartphone n’a rien à voir avec le même travail pour consoles. “Générer deux images différentes à 70 frames par seconde pour la stéréoscopie s’apparente plutôt au jeu vidéo des années 90, quand les cartes graphiques n’étaient pas celles d’aujourd’hui. Ça réclame des savoir-faire que certains studios de jeu ont pu oublier, mais que ceux de VR réactivent.”
La mise en œuvre des mêmes outils peut donc s’avérer très différente d’une filière à l’autre, et ce à chaque étape du workflow. La culture de production prime encore sur la pure maîtrise de l’outil, ce qui tendrait à entretenir une spécificité sectorielle.
Des promesses pour l’animation temps réel
Côté animation, les premiers exemples de séries confiées à des studios de jeu vidéo permettent de jauger la qualité du rendu temps réel pour un débouché audiovisuel. “Sans rivaliser avec le précalculé, ce nouvel équilibre entre qualité et productivité commence à justifier sa place dans certains types d’exploitation”, estime Joëlle Caroline. En revanche, les expertises qu’il requiert en ingénierie informatique ne sont pas encore maîtrisées par les purs studios d’animation.
Il est donc tentant de se projeter vers des collaborations plus étroites entre les deux filières, le partage de compétences communes et une convergence de fait.
“Les outils temps réel, la génération procédurale et l’IA générative créent une circulation entre l’univers des contenus linéaires et celui du jeu vidéo. Pour les professionnels de demain, créatifs ou informatiques voire de gestion de projet, des débouchés devraient s’ouvrir indifféremment dans ces deux univers assez proches.”
Julien Villedieu
La convergence sur un plateau grâce à la production virtuelle ?
Les moteurs temps réel, en particulier Unreal, sont également à l’origine d’une des évolutions du tournage ces dernières années : la production virtuelle et ses écrans LED géants sur lesquels des décors réalistes animés viennent remplacer les fonds verts. De nouveaux métiers naissent ainsi au croisement de la prise de vue réelle, de l’animation 3D, et des moteurs temps réel pour la fusion directe de ces différentes sources sur des plateaux en même temps physiques et virtuels.
La maturité de ces techniques n’est toutefois pas encore atteinte, témoigne Baptiste Heynemann, “et une séparation des compétences reste en général de mise entre les studios de VFX qui réalisent les fonds – ou plates – à intégrer sur les murs LED, et les prestataires de plateaux virtuels.” Mais dans un contexte marqué par la nécessité de produire plus vite, sans perte de qualité et à moindre coût énergétique, on peut penser que ces nouveaux savoir-faire transversaux sont aussi une compétence d’avenir.
Se préparer, c’est agir maintenant
Les moteurs temps réel, en particulier Unreal, sont également à l’origine d’une des évolutions du tournage ces dernières années : la production virtuelle Avant d’approfondir ces sujets dans la suite de cette série d’articles, retenons la conclusion de Stéphane Natkin : « Les processus de production passent de systèmes linéaires à des processus itératifs issus de l’informatique, et ces transformations vont se généraliser et se complexifier”. Si les moteurs temps réel ou l’IA en sont le déclencheur, “la mutation qu’ils induisent sur la relation à la production et aux objets est encore plus profonde.”
Cela signifie qu’on ne peut plus penser les compétences en s’en tenant à l’état de l’art, c’est-à-dire à ce qui existe aujourd’hui. Il faut penser et agir en vue de ce qui advient. Les forces de transformation technologiques actuellement à l’œuvre concernent les outils eux-mêmes, ce qui leur confère une capacité d’impact majeure qu’il faut anticiper dès maintenant.