Pour conclure cette analyse des impacts de l’IA générative sur les industries de l’image animée, les professionnels que nous avons interrogés se projettent sur les conséquences pour l’emploi. Les nouvelles qualifications et métiers qui deviennent nécessaires suffiront-ils à compenser ceux que l’IA va remplacer ?
Nous remercions pour leurs apports sur ces thèmes : Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films) Baptiste Heynemann, délégué général (CST), Pierre Cattan, fondateur, producteur et scénariste (Small Bang), Morgan Bouchet, head of global web 3/XR/metaverse (Orange France)
Comme dans d’autres cas avant elle, la révolution des emplois provoquée par l’IA devrait s’opérer d’abord progressivement, puis se généraliser brusquement. Si nous nous trouvons pour l’instant dans la phase progressive, et s’il est difficile de prédire quand se produira la bascule, il est probable qu’elle se situe avant la fin de la décennie. Alors pour mieux s’y préparer, voici les tendances sur lesquelles les professionnels s’accordent.
Quels métiers sont menacés ?
Deux catégories sont principalement concernées : d’une part celles pour lesquelles la technologie a d’ores et déjà franchi, ou est en passe d’atteindre son seuil de maturité d’usage, et d’autre part toutes celles où la répétition des tâches l’emporte sur l’adaptation, c’est-à-dire les cas généraux sur les cas particuliers.
La première de ces catégories concerne par exemple le traitement de la voix ou la reconnaissance d’images. Dans ces domaines, la technologie a été portée depuis longtemps par une recherche intensive à la demande de secteurs comme l’e-commerce, la téléphonie, l’industrie photographique, la médecine, etc. Longtemps sous le seuil de qualité exigé par les productions artistiques, elle frappe aujourd’hui à la porte. “Les comédiens qui font de la voix off sont remplacés par des voix artificielles, ça s’entend encore un peu mais dans certains cas presque plus” admet Joëlle Caroline. Même constat chez Baptiste Heynemann : “Les métiers du doublage sont très en danger. Le sous-titrage, c’est déjà fini, sauf pour la production haut de gamme pour l’instant.”
La seconde catégorie est plus disparate, il reste parfois des verrous à lever, mais les promesses de l’IA n’en sont pas moins proches de devenir réalité. “Les tâches routinières et répétitives sont des schémas ; tout ce qui répond à un schéma va être dévolu à une machine” analyse Pierre Cattan.
La notion de schéma est intéressante car elle propose un critère discriminant et objectif. Le montage, par exemple, est un métier artistique, un métier de talent, qui répond toutefois à des codes et des grammaires éprouvées sur des dizaines de milliers d’œuvres depuis l’origine du cinéma : des schémas. L’IA y trouvera nécessairement sa place, et avec efficacité, prédit Baptiste Heynemann : “Un montage en image réelle prend aujourd’hui à peu près deux fois le temps du tournage. Demain, un monteur avec des outils d’IA, d’indexation et de transmission par la voix des instructions de montage le fera probablement dans des délais beaucoup plus courts.”
Une nouvelle littératie ?
Dans ce contexte qui peut paraître pessimiste pour certaines catégories d’emplois, Sébastien Beck et Pierre Cattan se rejoignent pour voir dans les compétences attachées à l’IA une nouvelle littératie qui dessinera la ligne de partage entre les professionnels du futur.
Le premier redoute que fossé s’élargisse “entre les personnes qui auront des compétences élevées dans leur pratique avec l’IA, et celles n’auront pas de valeur ajoutée par rapport à elle. Le talent intermédiaire ne sera plus vraiment reconnu car l’IA occupera cet espace.” Le second avance en écho une proposition radicale : “On doit faire émerger dès à présent de nouveaux techniciens qui auront un regard de DA. Il n’y aura plus d’autre métier, au fond, que directeur ou directrice artistique.”
Ce qu’il faut retenir, c’est que les métiers de l’image devront dans beaucoup de cas se déterminer par rapport à l’IA, soit qu’ils atteignent un niveau d’expertise qui permette de travailler sur elle, soit qu’ils incluent des savoir-faire permettant de travailler avec elle tout en s’étendant au-delà d’elle, dans des sphères de compétence et de talent auxquelles elle ne puisse prétendre.
Travailler avec l’IA
Le défi n’est pas mince mais il vaut d’être relevé, car il en va de la qualité des emplois occupés par les jeunes professionnels qui se forment aujourd’hui, et de la pérennité de leur valeur. “Ils vont devenir des superviseurs, des contrôleurs, renchérit Joëlle Caroline. Le plus important, c’est de former des esprits vifs, avec une sûreté de jugement et une forte capacité à prendre des initiatives. La culture générale va devenir un élément important pour développer une pertinence, l’aptitude à évaluer et à décider en autonomie.”
Le nombre de postes risque de se réduire en même temps que certains métiers gagneront en responsabilité ainsi qu’en influence artistique sur le résultat final. Baptiste Heynemann cerne par exemple seulement trois postes clés pour le futur du montage assisté par l’IA : “un réalisateur ou une réalisatrice, un monteur ou une monteuse qui se sera formé·e à la nouvelle génération d’outils, et un·e assistant·e pour opérer l’indexation et organiser le workflow.” Le même type d’évolution pourrait affecter différentes étapes de la production.
Travailler sur ou pour l’IA
En contrepartie, l’IA va réclamer de nouveaux métiers spécifiques pour être intégrée, adaptée et maintenue. La capacité à prompter va ouvrir à une nouvelle génération une porte d’entrée dans les entreprises, mais à plus long terme, le besoin d’ingénierie spécifique s’installera durablement : “Le spectre est large au-delà du prompting”, explique Morgan Bouchet, “il va falloir s’appuyer sur les API des moteurs d’IA afin de les spécialiser et de les intégrer dans des workflows précis.”
Baptiste Heynemann le rejoint : “Comment les studios vont-ils s’approprier l’IA ? On devrait voir apparaître des super-utilisateurs d’IA à double compétence technique et artistique, capables de prompter efficacement à la demande d’un réalisateur ou d’un chef décorateur. En amont, les équipes de R&D utiliseront les technologies disponibles pour packager des “briques de workflow” sous forme de scripts ou prompts intermédiaires, et en aval, les super-utilisateurs ou les personnels artistiques viendront interroger ces ressources.”
Comment former ?
Dans un domaine aussi pionnier, c’est une question passionnante. Nous pensons d’abord qu’il faut partir des cas réels exprimés par les entreprises, d’où l’importance pour nous de ces conversations auxquelles nous invitons chaque professionnel·le intéressé·e à se joindre. Et nous croyons aussi que l’expertise s’invente à tous les bouts de la chaîne, y compris à l’initiative des générations qui arrivent et s’emparent sans réserve des outils.
Une telle transition à l’échelle d’une industrie entière ne peut se réussir que collectivement et créativement. C’est l’idée que reflètent nos méthodes pédagogiques et que nous développerons dans un prochain article.
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