Former des professionnel·les, c’est d’abord former des individus. Nous avons cherché à savoir quelles personnalités les studios français du secteur de l’image apprécient d’employer et pourquoi.

Nous avons échangé sur ces thèmes avec Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Pierre Cattan, fondateur, producteur et scénariste (Small Bang), Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films), Michel Reilhac, auteur transmédia, Head of Studies for the Venice Biennale College, Baptiste Heynemann, délégué général (CST)

Ce sont presque toujours les compétences techniques qu’on met en avant, qu’on valorise et qu’on enseigne en priorité. Pour autant, les professionnel·les de l’image animée insistent de façon unanime sur l’autre face des talents, celle des compétences comportementales, relationnelles et humaines sous tous leurs aspects. Les qualités interpersonnelles forment à leurs yeux le ciment des équipes et la condition pour que celles-ci s’épanouissent, atteignent leur plein potentiel et le maintiennent dans la durée. Les entreprises invitent donc à ne plus considérer les “savoir-être” comme un appoint aux compétences techniques mais bien comme le socle sur lequel on peut les construire.

Voici les capacités qu’elles attendent de la part des personnes qu’elles recrutent.

Capacité à faire équipe

Convaincue de la primauté qu’il convient de donner à la notion d’équipe, Voyelle Acker décrit ainsi la philosophie de Small Creative : “Chaque expérience est une montée en compétence collective. Les nouvelles recrues qui comprennent l’état d’esprit du studio et qui montrent le goût d’apprendre des autres sont en général celles qui s’épanouissent avec nous et qui nous apportent en retour : la compétence globale d’une équipe aide chacun à progresser dans son propre poste, et le collectif se construit dans la curiosité, la sociabilité, la bienveillance et le partage.”

Savoir communiquer pour collaborer

Au fondement d’une sociabilité collaborative, Pierre Cattan place la capacité de communication et donc d’écoute : “La production est un sport d’équipe. Il faut maîtriser les outils, mais d’abord savoir communiquer pour collaborer : bien comprendre ce qu’on attend de nous, bien faire comprendre ce qu’on attend des autres… J’insiste avant tout sur la façon dont on s’écoute et dont on favorise ainsi la collaboration dans le groupe.”

Plus précisément encore, Joëlle Caroline met en valeur la capacité d’expression orale comme écrite : “Sortiront du lot celles et ceux qui seront capables de s’exprimer correctement et sans faute, en mettant en avant des idées, en posant un discours pour être compris par les autres.” Savoir travailler, c’est aussi savoir présenter son travail, sa vision, ses convictions ».

Embrasser le changement

Avec l’intensité d’innovation qui caractérise désormais l’art et les industries de l’image, Michel Reilhac voit quant à lui dans “l’aptitude à embrasser le changement” une valeur pivot à inculquer : “Si la stabilité a longtemps été une aspiration dominante, c’est la capacité de changement qui devient prépondérante. On doit se projeter dans la perspective de se transformer complètement plusieurs fois au cours d’une carrière comme d’une vie.”

En réponse à cette pression de changement, on invoque souvent l’idée d’agilité, que Joëlle Caroline veut regarder comme une compétence et définir de façon pratique : “Au cœur de l’agilité, il y a d’abord la capacité à être curieux, ne jamais se reposer sur des acquis en pensant que le contexte autour de soi ne va pas continuer à changer. Il faut que les étudiants se préparent à faire des choses qui ne sont pas toujours dans leur cœur de métier, tout en utilisant à cette fin leurs connaissances acquises. Ils doivent apprendre à devenir forces de proposition, et à réinventer leur savoir-faire à mesure de l’évolution des outils et des besoins.”

Savoir défricher et avancer dans l’inconnu

Le changement permanent, c’est aussi la remise en question des points de repères et des pratiques acquises. Chacun doit travailler sa capacité à ne pas se laisser paralyser mais à l’aborder de façon proactive : “L’important n’est pas l’inconnu, c’est l’attitude face à l’inconnu”, juge Pierre Cattan.

Baptiste Heynemann relève que ce sont souvent des “individus défricheurs” qui servent de poissons-pilotes pour capter l’innovation ambiante et la traduire en innovations internes dans les entreprises (c’est le cas en ce moment avec l’intelligence artificielle). Il met en avant l’importance de “savoir s’emparer des outils, se les approprier, expérimenter et imaginer leurs usages”, et il faut voir là bien plus qu’une simple compétence technique mais l’expression concrète d’un état d’esprit : celui d’initiative et d’exploration.
C’est même, aux yeux de Joëlle Caroline, une capacité vitale pour évoluer dans le monde qui vient. Dans un contexte où, avec l’intelligence artificielle, le secteur tertiaire est touché par une révolution similaire à celle où les tâches ouvrières ont jadis été remplacées par des machines-outils, il est urgent, dit-elle, “de développer les facultés d’analyse et de former des esprits orientés vers l’initiative et la découverte par l’expérience et l’évaluation. La culture générale va ainsi (re)devenir essentielle au pouvoir de décryptage.”

Être autonome, développer un esprit critique

Un autre corollaire de la culture du changement réside dans la capacité d’autonomie. A chaque poste, on est susceptible de rencontrer plus fréquemment des situations imprévues ou complexes à interpréter. “Il faut transmettre une capacité d’autonomie, recommande Pierre Cattan, travailler sur la façon de réagir en situation de problème, ou sur l’esprit d’exigence au moment de valider des livrables. C’est une logique d’entrepreneur qui s’applique tout autant aux salariés qui naviguent d’un statut et d’un projet à l’autre.”

Une autre facette de cette qualité s’exprime “dans la conscience d’une liberté créative par rapport à la canalisation forcée par les commanditaires”. C’est le point de vue de Michel Reilhac qui recommande de promouvoir une clairvoyance mais aussi un esprit de liberté “face aux écritures formatées qui tolèrent très peu d’infractions à leurs codes et objectifs établis”, par exemple dans le cas des séries.

Préserver la création passe par encourager la liberté de critique et de transgression parmi les jeunes générations.

Vivre et travailler mieux

Toutes ces qualités dessinent le portrait d’individus ouverts aux autres, c’est-à-dire à l’esprit, à l’imaginaire, aux talents et aux savoir-faire des autres. Des individus capables de sortir de leur propre domaine de référence, de critiquer utilement le contexte et le monde dans lesquels ils évoluent, et d’y créer leur place plutôt que de la subir.

C’est un projet ambitieux mais fondamental si l’on place le bien-être et la réalisation personnelles, et non la seule productivité, parmi les objectifs premiers d’une formation aux métiers d’avenir.