L’avenir est-il aux profils hybrides, doués en même temps de talent créatif et de compétence en développement logiciel ? Au contraire, expertise singulière et spécialisation des fonctions resteront-elles au cœur des méthodes de production ?
Nous consacrons une série d’articles aux différentes facettes de ce débat en croisant les points de vue de Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Sébastien Beck, producteur associé (Hyperfiction), et Olivier Reix, cofondateur et producteur digital (Ultranoir)
On les appelle creative technologists – en français créatifs technologues – technical artists ou technical directors, optons ici pour le raccourci TechArts. Ils ou elles partagent une appétence artistique forte, le goût du cinéma, de la bande dessinée, de l’animation, du jeu vidéo, et des habiletés créatives qu’ils expriment à travers leur capacité à coder. Pourtant, beaucoup de questions se posent quant à leur place dans les équipes de production et leur avenir au sein des métiers. Mais d’abord, où les rencontre-t-on et comment les caractériser ?

Faire dialoguer l’art et la technologie​

C’est là où de nouvelles expressions et de nouvelles façons de faire s’inventent que les TechArts semblent s’épanouir le mieux. La réalité virtuelle s’y prête tout particulièrement, selon Voyelle Acker : “La VR est en train d’inventer une grammaire et une façon de travailler différentes, avec des process plus agiles qui répondent à des financements plus contraints. Ce qui va être déterminant dans ces métiers du futur se préfigure aujourd’hui, on a donc besoin de gens polyvalents, capables de composer avec des demandes, des usages et des technologies qui évoluent très vite.”
Dans ce contexte, les TechArts sont la pierre angulaire qui fait dialoguer l’art et la technologie : “Toute notre équipe côté artistique a fait du code, et tous nos développeurs ont cette appétence artistique”, ajoute-t-elle.

Une double compétence rare

Sébastien Beck partage la même vision et souligne le besoin “de technical directors capables de comprendre les contraintes du pipeline de développement et de celui d’intégration, d’en déduire la façon de fabriquer, et d’orienter dès l’amont la création artistique de manière adaptée.” Mais aussi cruciale soit-elle, cette double compétence reste une denrée rare, et peu de candidat·es répondent à ce profil.

Un autre secteur met en avant la place des TechArts : celui des agences de communication. Ultranoir a la particularité de développer à titre expérimental des projets créatifs et techniques innovants pour en dériver ensuite de nouveaux outils de communication.

Olivier Reix souligne d’abord qu’en “18 ans d’expérience, [il] n’a croisé que peu de profils capables de programmer des choses complexes avec en parallèle une sensibilité, un œil et une culture artistique forte.” Mais il en apprécie l’intérêt : “En ne segmentant pas les compétences on va plus vite, il n’y a pas de déperdition d’informations entre technicien et créatif.” Le mouvement du No Code et l’intensité d’innovation actuelle jouent aussi en faveur de ces talents, en abaissant la barrière technique et en donnant beaucoup de valeur aux compétences de celles et ceux qui sont capables d’avancer seuls et d’ouvrir des voies créatives.

Pierres angulaires ou simples pierres à l’édifice ?

Nous retenons deux enseignements de ces échanges. D’abord, ces profils hybrides ne peuvent être comparés à aucun autre. Ils créent d’une main et codent de l’autre, et l’une influence l’autre de telle façon qu’au bout du compte ils fonctionnent hors de tout modèle. Et c’est pourquoi ils sont à l’aise en phase d’expérimentation. Leur façon de faire les incline à se risquer, à essayer, et les dispose à inventer. Elle les rend également capables de transmettre et de communiquer fluidement avec d’autres métiers, ce sont des courroies d’entraînement. Des profils précieux…

En contrepartie, on les considère rares et on les regarde en général comme des exceptions ou des talents particuliers, plutôt que comme les produits d’une démarche, d’une trajectoire d’expérience et donc d’une éducation.

D’où les questions auxquelles nous tâcherons de répondre dans deux prochains articles :

  • D’abord, leur intérêt se limite-t-il à un rôle d’éclaireurs dans les moments pionniers, ou bien est-il appelé à se généraliser y compris au sein de pipelines éprouvés et structurés ?
  • Et surtout, cette rareté est-elle intrinsèque et liée à de particulières combinaisons de talents, ou bien de tels profils peuvent-ils être activement formés ?