Les TechArts qualifiés sont vus comme des profils peu courants. Cela semble tenir à la particularité des talents requis mais aussi à des raisons plus pratiques : on les valorise dans les phases de changement, on a plus de mal à les intégrer quand il s’agit de (re)produire. Et pourtant ils s’implantent…
Ont contribué à ces réflexions : Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films), Chloé Jarry, ceo et productrice (Lucid Realities), Antoine Villette, directeur, Microids Studio Paris), Benoît Maujean, directeur de l’équipe recherche (Technicolor Creative Studio), Olivier Reix, cofondateur et producteur digital (Ultranoir)
Est-il antinomique d’être à la fois artiste et compétent·e techniquement ?
Dans l’animation, Joëlle Caroline observe que l’essor de technologies de plus en plus accessibles et puissantes auprès de générations touche-à-tout et qui apprennent très vite contribue à une sorte d’illusion que l’outil fait l’artiste. Elle met en garde contre “l’idée que l’expression artistique est à la portée de tout le monde dès lors qu’on maîtrise un outil technique.” Comme productrice, elle sait la difficulté de trouver des artistes forts, or “la technique prend de plus en plus de place mais ne fait ni le talent ni un univers artistique.”
La valeur est d’abord dans l’équipe
A ses yeux, la division des tâches en production est éprouvée et fait sens : “Les profils techniques sont là pour apporter leur expertise à un ensemble. Un monteur ou un rigger contribuent à servir une vision artistique, mais via une compétence avant tout technique.” Mixer les compétences n’apparaît donc pas comme une nécessité dans un processus collaboratif qui fonctionne, c’est toujours l’équipe qui prime. La valeur cardinale est dans l’organisation, la coordination des talents dans un but de création collective.
Chloé Jarry va dans le même sens : “On est toujours dans un travail d’équipe : la réflexion commune entre des personnes différentes qui portent des compétences différentes fait l’intérêt de nos métiers.”
Valorisés comme éclaireurs et défricheurs au cours des phases exploratoires, les TechArts deviennent donc moins prisés lorsque les processus sédimentent et que les chaînes de production atteignent, en même temps qu’elles se stabilisent, la capacité à combiner le meilleur de chaque talent particulier. Pourtant, même à ce stade, ces profils hybrides semblent continuer d’éclore un peu partout. Alors dans quels rôles exactement ?
Des TechArts aux multiples visages
Antoine Villette observe leur intégration dans les studios de jeu vidéo : “On repose de plus en plus sur des postes interstitiels : TechArt 3D, TechArt son, animation ou VFX. Ce sont à la fois des développeurs qui fabriquent des outils, et des gens capables de travailler avec des créateurs pour fournir des solutions, des réponses artistiques.” Il s’agit parfois d’infographistes à l’esprit “bidouilleur” qui découvrent et se forment sur le web, ou, à l’inverse, de développeurs qui expérimentent avec Blender pour comprendre les bases de l’animation… Dans les deux cas, la double compétence qu’ils acquièrent favorise leur évolution vers plus de responsabilité ou des fonctions de management, car ils deviennent capables de guider la conception ou de valider les productions à la fois d’un point de vue artistique et technique.
L’intégration de l’IA générative en production est une autre occasion pour ces profils de s’insérer dans les studios : “On voit naître le besoin de TechArts avec un regard artistique et une compétence de codeurs pour maîtriser l’usage du code génératif, surtout en création d’image”, reconnaît Chloé Jarry. “C’est là qu’est leur valeur ajoutée parce qu’un travail génératif ne peut s’envisager sans vision artistique.” Elle les voit toutefois pour l’instant comme des cas particuliers, “une personne parmi l’équipe et qui ne répond pas à tout.”
Benoît Maujean quant à lui va plus loin en insistant sur la nécessaire maîtrise des fondamentaux de l’image par tous les développeurs d’effets visuels pour le cinéma : “Tout le monde ne doit pas savoir peindre, sculpter ou photographier en lumière réelle, mais la perception en 3 dimensions de la caméra, du décor, des personnages, de leur position relative dans le temps et dans l’espace est une base indispensable.”
Une réalité tangible
En conclusion, peut-être les TechArts sont-ils destinés à demeurer des profils de niche, peut-être leur éclosion est-elle naturellement limitée par le degré d’exigence attaché à chaque métier – remplir une fonction artistique tout comme se tenir à la pointe des évolutions technologiques réclame talent, travail… et une réelle assiduité – mais les cas de cumul d’expertises n’en forment pas moins une réalité tangible, observable sur le terrain, ainsi qu’une aspiration des générations montantes : “Le terme de développeur créatif est très en vogue, je reçois presque tous les jours des CV de jeunes qui s’en réclament”, conclut Olivier Reix.
Alors comment s’en emparer, côté entreprises et côté formation ? Ce sera l’objet du troisième et dernier volet de cette série.