Cet article fait le point sur la culture de production et les métiers qui se font jour dans les studios de VR.
Nous avons échangé sur ces thèmes avec Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Chloé Jarry, ceo et productrice (Lucid Realities), Sébastien Beck, producteur associé (Hyperfiction), Morgan Bouchet, head of global web 3/XR/metaverse (Orange France) et Romain Dudognon, responsable sectoriel innovation (Bpifrance)
De l’avis même des expert·es du domaine, la création immersive est en pleine phase d’invention sur les plans formel, technique et méthodologique. Cela rend le secteur passionnant à observer et ouvre de nombreuses perspectives d’avenir. Certaines directions fortes sont toutefois en train d’émerger, notamment quant aux compétences et métiers.
Quelles équipes ? Quelle philosophie de production ?
Première caractéristique, l’exploration invite à une collaboration itérative : la VR ne se crée pas en silos. Au contraire, les projets se construisent “à la manière de millefeuilles” (Voyelle Acker). Même si les équipes créatives s’investissent plutôt en amont, elles restent actives et interviennent quasiment jusqu’à la fin. Les phases de préproduction et de production demeurent distinctes, mais l’adaptation artistique se poursuit elle aussi jusqu’au terme.
Ce principe est favorisé par la petite taille des équipes, généralement de l’ordre de 10 ou 15 personnes pour un projet en 3D temps réel, contre souvent plusieurs centaines pour un jeu vidéo ou un film d’animation. Pour l’instant, les œuvres immersives restent la plupart du temps courtes, du fait notamment du seuil de tolérance sous un casque, mais ces petites équipes n’en parviennent pas moins à engendrer des succès artistiques et critiques à l’échelle internationale.
Quelle approche technologique ?
Les studios de réalité virtuelle que nous avons rencontrés affichent le goût de la technique mais sans ivresse de la technique. C’est un trait de caractère marquant. “On fait beaucoup de R&D, on est capable d’aller très haut en termes de technologie, de qualité d’expérience et d’interaction, dit encore Voyelle Acker, mais on doit proposer aux institutions, aux artistes et aux commanditaires des choses “public-proof”, c’est-à-dire éprouvées et qui permettent de faire passer un maximum de gens dans les expériences.”
Nous reviendrons sur cette préoccupation que beaucoup ont exprimée non seulement dans la VR mais aussi dans le jeu vidéo, l’animation et la création numérique au sens large : la poursuite d’une technologie frugale et économe en ressources, et donc d’une forme de symbiose responsable entre la façon de concevoir et d’écrire, l’ambition artistique et visuelle, et les moyens techniques qui en découlent. Mais cette tendance est particulièrement marquée chez les créateurs immersifs, peut-être parce qu’ils sont souvent imprégnés de plusieurs cultures au départ, comme la scénographie, les arts plastiques, l’audiovisuel… où ils puisent des motivations et des priorités différentes.
Quelles fonctions pour une équipe type ?
Beaucoup des métiers qui font la VR aujourd’hui reposent sur des combinaisons de compétences artistiques, techniques, narratives, ainsi que de travail en équipe. Nous avons retenu dix fonctions qui en constituent l’épine dorsale.
Producteur / productrice artistique : la fonction de production est faite de multiples facettes dont une dimension artistique qui prédomine dans les phases initiales d’un projet (conception, préproduction). L’implication concrète des producteurs dans les choix artistiques et de contenu est un gage d’alignement pour les équipes : équilibre entre ambitions créatives, budgets, vision technique…
Auteur·ice et Narratif designer·euse forment un binôme indissociable. En location-based entertainment (expériences en groupes dans un espace partagé incluant des déplacements physiques alors qu’on porte un casque), la fonction de narratif design apporte à l’écriture les compétences touchant à la gestion de l’espace, des mouvements et des déplacements, des points d’intérêt et de la gestion du regard, des actions individuelles ou de la synchronisation de groupe. Elle garantit l’intuitivité et la fluidité de l’expérience, le confort et la sécurité des participants. Elle attire des profils précurseurs qui contribuent à définir les grammaires d’interaction en cours d’adoption dans le domaine.
Game designer / designeuse : ce rôle est indispensable pour les projets à forte dimension ludique, mais couvert par le narratif design dans la plupart des autres cas.
Directeur / directrice artistique : c’est la personne qui réalise les concept-arts à partir de mood boards ou de directions graphiques. Elle doit comprendre aussi le code et toutes contraintes techniques et d’usage en aval, car les concept-arts déterminent la modélisation 3D qui doit être à son tour compatible avec les casques autonomes.
Créatif / créative technologue : on en a parlé en détail dans cette précédente série d’articles. On n’en trouve pas encore beaucoup sur le terrain, ou pas toujours reconnus comme tels, mais ils pourraient bien devenir la pierre angulaire des métiers de demain, du moins dans monde de la VR.
Développeur / développeuse 3D temps réel : c’est la cheville ouvrière du rapport performance / qualité visuelle sur casques autonomes. Sa compétence inclut notamment des méthodes héritées du jeu vidéo des origines, comme la substitution d’objets par des textures ou des normal maps pour préserver le rendu en utilisant moins de ressources.
Graphiste 3D temps réel : complément indispensable du métier précédent, sa compétence s’étend bien au-delà de la modélisation “low polygon”. Les studios cultivent ces profils dont l’expérience acquiert avec le temps de plus en plus de valeur et fait d’eux des piliers des équipes de production. Leur formation approfondie en amont devient de fait elle aussi cruciale.
Intégrateur / intégratrice de production : assemble chaque scène ou section du programme et assure la qualité des contenus à partir des modèles conçus par les équipes de création et de développement. Elle doit être capable de décliner les ressources qu’on lui confie et de les adapter à chaque contexte particulier, dans le respect des intentions de conception initiales.
Médiation immersive : fonction support en aval de la création, elle conduit les studios à “faire des métiers non prévus au départ : scénographie, design de mobilier, formation et management de médiateurs.” (Chloé Jarry) En ce sens, elle implique des savoirs chez les équipes de création. Elle témoigne aussi de l’importance du lien humain et du partage d’expérience que les créateurs de réalité virtuelle n’entendent pas sacrifier au tout technologique.
Des savoir-faire à fort potentiel d’avenir
En création immersive, la notion d’équipe va durablement rester clé. Même si des grammaires et des formats se dessinent, la plupart des projets restent uniques et pensés comme des œuvres singulières. Pour cette raison, les compétences métiers doivent se doubler d’une forte appétence pour la collaboration créative, chaque savoir-faire se coordonnant et s’appuyant sur les autres. C’est une philosophie propice au développement d’une génération de talents à fort potentiel d’avenir.