Retour sur la formation continue « Intégrer les outils IA pour la création des images »

Retour sur la formation continue « Intégrer les outils IA pour la création des images »

Trois jours pour maîtriser les outils d’IA générative appliqués à la création d’images et de vidéos

Bonjour, je suis Amandine Dumas, chargée de communication digitale à La Plateforme. J’ai eu l’opportunité de tester notre formation « IA & Métiers de l’Image », et l’expérience a été aussi intense qu’enrichissante !

Aux côtés de 11 autres professionnels du secteur visuel (directeurs artistiques, graphistes, photographes, reporters), j’ai suivi ce programme intensif de trois jours animé par Stephan Muntaner, directeur de création, graphiste et expert en IA appliquée à la création visuelle.
L’objectif ? Comprendre et intégrer les outils d’IA dans les flux de production et processus créatifs, tout en développant un regard critique sur ces nouvelles pratiques.

Une immersion dans la génération d’images IA

Dès le premier jour, nous avons exploré les principes fondamentaux de la création d’images IA et l’art de formuler des prompts. Stephan a démystifié des outils comme Midjourney (pour la génération d’images) et Magnific AI (pour l’amélioration et l’upscaling des visuels). Chaque démonstration était enrichie de cas concrets, nous permettant d’appliquer directement ces techniques à nos métiers respectifs.

Une fois ces bases assimilées, nous avons mis nos nouvelles compétences en pratique en créant une affiche fictive pour le Jungle Jazz Festival. Entre génération d’images, typographies IA et intégration dans des mockups avancés, j’ai rapidement réalisé que, spoiler alert : la typographie en IA sera votre ennemi !

L’un des points forts de la génération d’images par IA ? L’optimisation du processus de préproduction. L’IA devient un allié puissant pour affiner la direction artistique, accélérer l’idéation et fluidifier les échanges avec les clients ou les équipes. Un vrai gain d’efficacité !

Dans mon cas, elle me permet de :

  • Générer rapidement des visuels d’inspiration pour orienter la direction artistique et illustrer des concepts difficiles à trouver en banque d’images.
  • Enrichir nos campagnes marketing et supports digitaux avec des visuels plus percutants.
  • Optimiser et adapter les visuels reçus pour maximiser leur impact, aussi bien en digital qu’en print.
  • Explorer différentes directions créatives plus rapidement, facilitant ainsi la prise de décision et les tests A/B.

Génération de vidéos IA : de la conception à la production

Le deuxième volet de la formation était consacré à la génération de vidéos assistée par IA. Nous avons exploré des outils comme Runway, Kling (génération de vidéos IA) et Magnific AI pour optimiser nos rendus.

Si beaucoup avaient déjà testé Midjourney pour les images, les vidéos IA étaient une vraie nouveauté pour la plupart d’entre nous ! Stephan a brillamment rendu ce sujet captivant en nous montrant comment utiliser l’IA pour créer des spots publicitaires et des clips narratifs.

Au départ, j’avais du mal à imaginer comment intégrer la génération vidéo IA dans mon travail. Mais après avoir testé les outils, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de tout réaliser en IA. L’IA peut être un excellent complément pour générer des scènes supplémentaires tout en maintenant une touche authentique.

Répartis en trois groupes, nous avons relevé un défi de taille : concevoir une vidéo en une journée et demi. Chaque équipe a dû définir un thème, écrire un scénario et générer des assets visuels avec Midjourney. Pour obtenir des images réalistes et cohérentes, il a fallu affiner nos prompts en jouant avec des paramètres techniques comme les matériaux, les textures et l’éclairage.

Entre la création d’assets visuels et les tests de prompts sur Kling et Runway, le processus créatif a été à la fois intense et ponctué de moments hilarants face à certaines interprétations improbables de l’IA. Avec un peu plus de temps, on aurait pu monter un véritable bêtisier !

Présentation des trois projets créatifs

Trois projets ont vu le jour à la suite de cette collaboration dynamique entre les groupes :

🎭 « Priscilla et Elvis »
Réalisé par : Inès Bussède, Julie Guidicelli, Gilles Schoenholtzer & Benoit Talabot

Une mise en scène surréaliste d’une demeure aux habitants intrigants, oscillant entre accueil chaleureux et mystère.

🎬 « TAKOSYAKI »
Réalisé par : Marion Gambin, Patrice Le Verger, Aurélie Preaud & Ariane Souvannavong 

Un hommage aux codes cinématographiques du western, avec un twist humoristique où des « revolvers tacos » fusionnent culture mexicaine et japonaise.

🩸 « Deadly Joke »
Réalisé par : Benjamin Bernard, Thomas Coispel, Thierry Jannot & Amandine Dumas

Une parodie de films d’horreur où un tueur s’infiltre dans une cabane en forêt… mais se retrouve ignoré par des jeunes trop absorbés par leur boisson, jusqu’à succomber au plaisir du produit lui-même.

En guise de guest surprise, nous avons eu la chance de collaborer avec Christophe Menassier, compositeur & sound designer, qui est intervenu pour créer les musiques de nos vidéos à l’aide de l’IA. En un temps record, il a trouvé des ambiances sonores parfaites pour nos projets, renforçant l’immersion et la dimension professionnelle de nos réalisations.

Cela m’a donné envie de tester l’outil Suno pour générer de la musique. Cet outil pourrait s’avérer extrêmement utile dans mon métier, en me faisant gagner un temps précieux sur le temps consacré à la recherche de musiques adaptées à mes campagnes.

Retour sur la formation et perspectives

Les participants ont été impressionnés par les possibilités offertes par les outils d’IA et leur impact direct sur nos métiers. En trois jours, nous avons non seulement appris à utiliser ces outils, mais aussi à réfléchir à leur intégration stratégique dans nos processus créatifs.

Une conviction commune a émergé : l’IA est un outil incontournable pour l’avenir créatif de nos secteurs. Il est essentiel de l’intégrer intelligemment dans nos pratiques pour rester compétitif et à la pointe de l’innovation.

Pour ma part, cette formation m’a permis d’élargir mes compétences et de découvrir des fonctionnalités qui enrichiront mes pratiques professionnelles. La génération vidéo, en particulier, m’a ouvert des perspectives intéressantes que je suis impatiente d’explorer dans mon travail.

Un immense merci à Stéphan Muntaner, Christophe Menassier, à l’équipe Innovation de La Plateforme, ainsi qu’à tous les participants pour ces échanges inspirants et cette montée en compétences collective.

Bonne nouvelle : une deuxième session est prévue en juin ! Alors, si vous souhaitez développer vos compétences en IA appliquée à la création visuelle, je vous conseille vivement de vous inscrire.

Défis technologiques et responsabilité des entreprises

Défis technologiques et responsabilité des entreprises

La responsabilité des entreprises devant les enjeux sociétaux et environnementaux impacte les besoins en compétences, l’évolution des cultures internes et des modes d’organisation. Ces questions remontent en bonne place dans les préoccupations exprimées par les dirigeant·es des filières de l’image animée.

Nous remercions pour leurs contributions : Julien Villedieu, conseil en stratégie et financement pour le jeu vidéo (Level Link Partners), Pierre Cattan, fondateur, producteur et scénariste (Small Bang), Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Sébastien Beck, producteur associé (Hyperfiction), Antoine Villette, directeur, (Microids Studio Paris), et Michel Reilhac, auteur transmédia, Head of Studies for the Venice Biennale College

Créer de l’image numérique aujourd’hui ne va pas sans questionnements de nature universelle comme l’inclusion, la qualité de vie au travail ou la solidarité transgénérationnelle. Mais d’autres sont plus spécifiques à un secteur dont les productions évoluent de pair avec la course au hardware, contribuent aux besoins en bande passante et en stockage, et surtout, participent à l’émergence d’une société numérique dont les effets apparaissent chaque jour moins maîtrisés. La façon dont les professionnel·les abordent ces sujets réclame d’être prise en compte dès le stade de la formation.

Vivre en société(s)

Ce n’est pas un simple glissement de générations qui s’opère en ce moment dans le monde du travail, c’est un changement de référentiel. L’industrie du jeu vidéo y est particulièrement sensible. Les problématiques d’engagement responsable, d’égalité de genre, de diversité, de mixité à la fois sociale ou d’origine sont devenues très prégnantes. Ces priorités nouvellement affirmées changent les rapports au sein des équipes de production où différentes générations coexistent avec différents systèmes de valeurs.

Les entreprises doivent repenser les formes de travail, les modes de management, le partage des valeurs essentielles. Cela nécessite une capacité d’adaptation qui traverse toutes les couches des organisations, et notamment des salariés ouverts, eux aussi volontaires et enclins à poursuivre ce type de mouvement. “Parfois on peut avoir l’impression que le business et les sujets liés à la production sont devenus accessoires par rapport aux questions de bien-être au travail et de relations entre les collaborateurs et les collaboratrices.” C’est un élément important de la sociologie actuelle des entreprises aux yeux de Julien Villedieu.

Cela invite à penser aussi le temps de formation comme un moment qui contribue à la construction d’une éthique personnelle et d’un rapport équilibré aux autres. Les qualités d’écoute, de prise de recul et d’expression assertive sont tout particulièrement concernées.

Produire en responsabilité

Pierre Cattan pose une équation qui ne se résoudra sans doute pas sans penser en dehors du cadre : “Avec la crise climatique, il va falloir apprendre à faire mieux avec moins, à faire pour beaucoup avec les ressources avec lesquelles on fait aujourd’hui pour peu.”

La feuille de route est à long terme, mais de manière immédiate et concrète elle invite à une éthique de production fondée en priorité sur l’optimisation.

Le secteur de la réalité virtuelle semble l’avoir embrassée dès l’origine, d’abord en investissant le segment du Location-Based Entertainment (expériences immersives sur sites), qui offre l’accès aux casques en même temps qu’aux contenus et permet de toucher un large public avec une forte économie côté hardware. Mais aussi, pour les studios les plus en pointe, en renonçant très tôt au streaming et à ses équipements puissants et coûteux pour privilégier des créations adaptées aux capacités des casques autonomes. C’est une contrainte importante, mais comme l’image sans concession Voyelle Acker : “Les jeunes doivent être formés à concevoir des choses stables, adaptées au public, et pas des usines à gaz qui vont tuer la planète.”

La quête d’écoresponsabilité pour ces studios commence par une recherche d’équilibre entre la qualité d’expérience et son coût d’une part financier mais avant tout écologique. Un tel arbitrage entre une création débridée mais énergivore et une approche exigeante, économe en ressources sans compromis artistique, ne peut se faire sans compétences adaptées. Des compétences qui vaudront à long terme elles aussi, à en croire Sébastien Beck, “car il y a relation directe entre économie de processeur et autonomie de la batterie, on n’est donc pas dans la loi de Moore et cette contrainte va perdurer.”

La responsabilité reste avant tout affaire d’orientation créative et de savoir-faire humain.

Longue traîne technologique

La fameuse loi de Moore est en revanche l’un des moteurs économiques du jeu vidéo. La nature même des jeux qui font la vitrine du marché est d’exploiter au maximum les capacités des dernières générations de consoles ou de cartes graphiques, avec ce que cela suppose de consommation énergétique et de priorité donnée au renouvellement constant des parcs de machines. Quelle place pour une production plus responsable dans ce contexte ?

Si la partie la plus visible de l’iceberg est faite de ces machines haut de gamme, son immense partie immergée se compose de plateformes plus anciennes ou légères, naturellement moins performantes mais qui n’en constituent pas moins un marché profond, une sorte de longue traîne technologique.
Deux raisons plaident donc pour maintenir parmi les développeurs une culture de l’optimisation et une capacité à tirer parti de dispositifs de moindre puissance. La première, pour Antoine Villette, est d’ouvrir ou rouvrir des marchés délaissés et potentiellement vastes pour les créations d’aujourd’hui, à travers la systématisation des portages : “Il y a 150 millions de Switch dans le monde, 180 millions de PS4, mais la plupart des titres sortent uniquement pour PS5, PC ou Xbox Series X, parce qu’on tourne le dos à l’histoire du marché.”

La seconde, et peut-être la plus importante à nos yeux, est de défendre une alternative au schéma classiquement admis qui mise sur le « toujours plus » comme vecteur de croissance, avec pour conséquence l’obsolescence accélérée de machines parfaitement fonctionnelles mais artificiellement dévaluées par l’usage. “Il y a quelques années on devait tout optimiser pour entrer dans des contraintes étroites, sinon on n’existait tout simplement pas. Aujourd’hui les capacités d’affichage et de calcul sont énormes donc on peut se lâcher sur tout. Mais cette course en avant génère un déchet énorme”, conclut Antoine Villette.

Valoriser les bases installées en promouvant la durée de vie active et utile des machines est un besoin critique. Il repose là encore, en pratique, sur un profond savoir-faire.

Remettre le corps au cœur de l’expérience numérique

La société numérique atteint un niveau d’universalité où la question de l’acceptation sociale des contenus et comportements qu’elle engendre devient prépondérante. C’est le cœur du travail actuel de Michel Reilhac, pour qui “les réseaux sociaux sont presque exclusivement sollicités aujourd’hui pour satisfaire notre besoin de socialisation, mais ne peuvent y répondre parce qu’ils sont désincarnés.” La question se pose à ses yeux de la responsabilité des créateurs de faire que les technologies immersives ou l’intelligence artificielle soient des moyens d’augmenter l’expérience physique, de l’enrichir et de la déployer, mais pas de la remplacer.

Ce point de vue trouve écho chez beaucoup de professionnel·les et impacte certainement la façon dont les futures générations doivent être préparées à la pratique de leur métier, par la culture, l’esprit critique et la diversification des expériences.

Métiers de l’image animée – Quelles “soft skills” pour le monde qui vient ?

Métiers de l’image animée – Quelles “soft skills” pour le monde qui vient ?

Former des professionnel·les, c’est d’abord former des individus. Nous avons cherché à savoir quelles personnalités les studios français du secteur de l’image apprécient d’employer et pourquoi.

Nous avons échangé sur ces thèmes avec Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Pierre Cattan, fondateur, producteur et scénariste (Small Bang), Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films), Michel Reilhac, auteur transmédia, Head of Studies for the Venice Biennale College, Baptiste Heynemann, délégué général (CST)

Ce sont presque toujours les compétences techniques qu’on met en avant, qu’on valorise et qu’on enseigne en priorité. Pour autant, les professionnel·les de l’image animée insistent de façon unanime sur l’autre face des talents, celle des compétences comportementales, relationnelles et humaines sous tous leurs aspects. Les qualités interpersonnelles forment à leurs yeux le ciment des équipes et la condition pour que celles-ci s’épanouissent, atteignent leur plein potentiel et le maintiennent dans la durée. Les entreprises invitent donc à ne plus considérer les “savoir-être” comme un appoint aux compétences techniques mais bien comme le socle sur lequel on peut les construire.

Voici les capacités qu’elles attendent de la part des personnes qu’elles recrutent.

Capacité à faire équipe

Convaincue de la primauté qu’il convient de donner à la notion d’équipe, Voyelle Acker décrit ainsi la philosophie de Small Creative : “Chaque expérience est une montée en compétence collective. Les nouvelles recrues qui comprennent l’état d’esprit du studio et qui montrent le goût d’apprendre des autres sont en général celles qui s’épanouissent avec nous et qui nous apportent en retour : la compétence globale d’une équipe aide chacun à progresser dans son propre poste, et le collectif se construit dans la curiosité, la sociabilité, la bienveillance et le partage.”

Savoir communiquer pour collaborer

Au fondement d’une sociabilité collaborative, Pierre Cattan place la capacité de communication et donc d’écoute : “La production est un sport d’équipe. Il faut maîtriser les outils, mais d’abord savoir communiquer pour collaborer : bien comprendre ce qu’on attend de nous, bien faire comprendre ce qu’on attend des autres… J’insiste avant tout sur la façon dont on s’écoute et dont on favorise ainsi la collaboration dans le groupe.”

Plus précisément encore, Joëlle Caroline met en valeur la capacité d’expression orale comme écrite : “Sortiront du lot celles et ceux qui seront capables de s’exprimer correctement et sans faute, en mettant en avant des idées, en posant un discours pour être compris par les autres.” Savoir travailler, c’est aussi savoir présenter son travail, sa vision, ses convictions ».

Embrasser le changement

Avec l’intensité d’innovation qui caractérise désormais l’art et les industries de l’image, Michel Reilhac voit quant à lui dans “l’aptitude à embrasser le changement” une valeur pivot à inculquer : “Si la stabilité a longtemps été une aspiration dominante, c’est la capacité de changement qui devient prépondérante. On doit se projeter dans la perspective de se transformer complètement plusieurs fois au cours d’une carrière comme d’une vie.”

En réponse à cette pression de changement, on invoque souvent l’idée d’agilité, que Joëlle Caroline veut regarder comme une compétence et définir de façon pratique : “Au cœur de l’agilité, il y a d’abord la capacité à être curieux, ne jamais se reposer sur des acquis en pensant que le contexte autour de soi ne va pas continuer à changer. Il faut que les étudiants se préparent à faire des choses qui ne sont pas toujours dans leur cœur de métier, tout en utilisant à cette fin leurs connaissances acquises. Ils doivent apprendre à devenir forces de proposition, et à réinventer leur savoir-faire à mesure de l’évolution des outils et des besoins.”

Savoir défricher et avancer dans l’inconnu

Le changement permanent, c’est aussi la remise en question des points de repères et des pratiques acquises. Chacun doit travailler sa capacité à ne pas se laisser paralyser mais à l’aborder de façon proactive : “L’important n’est pas l’inconnu, c’est l’attitude face à l’inconnu”, juge Pierre Cattan.

Baptiste Heynemann relève que ce sont souvent des “individus défricheurs” qui servent de poissons-pilotes pour capter l’innovation ambiante et la traduire en innovations internes dans les entreprises (c’est le cas en ce moment avec l’intelligence artificielle). Il met en avant l’importance de “savoir s’emparer des outils, se les approprier, expérimenter et imaginer leurs usages”, et il faut voir là bien plus qu’une simple compétence technique mais l’expression concrète d’un état d’esprit : celui d’initiative et d’exploration.
C’est même, aux yeux de Joëlle Caroline, une capacité vitale pour évoluer dans le monde qui vient. Dans un contexte où, avec l’intelligence artificielle, le secteur tertiaire est touché par une révolution similaire à celle où les tâches ouvrières ont jadis été remplacées par des machines-outils, il est urgent, dit-elle, “de développer les facultés d’analyse et de former des esprits orientés vers l’initiative et la découverte par l’expérience et l’évaluation. La culture générale va ainsi (re)devenir essentielle au pouvoir de décryptage.”

Être autonome, développer un esprit critique

Un autre corollaire de la culture du changement réside dans la capacité d’autonomie. A chaque poste, on est susceptible de rencontrer plus fréquemment des situations imprévues ou complexes à interpréter. “Il faut transmettre une capacité d’autonomie, recommande Pierre Cattan, travailler sur la façon de réagir en situation de problème, ou sur l’esprit d’exigence au moment de valider des livrables. C’est une logique d’entrepreneur qui s’applique tout autant aux salariés qui naviguent d’un statut et d’un projet à l’autre.”

Une autre facette de cette qualité s’exprime “dans la conscience d’une liberté créative par rapport à la canalisation forcée par les commanditaires”. C’est le point de vue de Michel Reilhac qui recommande de promouvoir une clairvoyance mais aussi un esprit de liberté “face aux écritures formatées qui tolèrent très peu d’infractions à leurs codes et objectifs établis”, par exemple dans le cas des séries.

Préserver la création passe par encourager la liberté de critique et de transgression parmi les jeunes générations.

Vivre et travailler mieux

Toutes ces qualités dessinent le portrait d’individus ouverts aux autres, c’est-à-dire à l’esprit, à l’imaginaire, aux talents et aux savoir-faire des autres. Des individus capables de sortir de leur propre domaine de référence, de critiquer utilement le contexte et le monde dans lesquels ils évoluent, et d’y créer leur place plutôt que de la subir.

C’est un projet ambitieux mais fondamental si l’on place le bien-être et la réalisation personnelles, et non la seule productivité, parmi les objectifs premiers d’une formation aux métiers d’avenir.

Création immersive 2 – Des métiers au service d’une création collective

Création immersive 2 – Des métiers au service d’une création collective

Cet article fait le point sur la culture de production et les métiers qui se font jour dans les studios de VR.

Nous avons échangé sur ces thèmes avec Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Chloé Jarry, ceo et productrice (Lucid Realities), Sébastien Beck, producteur associé (Hyperfiction), Morgan Bouchet, head of global web 3/XR/metaverse (Orange France) et Romain Dudognon, responsable sectoriel innovation (Bpifrance)

De l’avis même des expert·es du domaine, la création immersive est en pleine phase d’invention sur les plans formel, technique et méthodologique. Cela rend le secteur passionnant à observer et ouvre de nombreuses perspectives d’avenir. Certaines directions fortes sont toutefois en train d’émerger, notamment quant aux compétences et métiers.

Quelles équipes ? Quelle philosophie de production ?

Première caractéristique, l’exploration invite à une collaboration itérative : la VR ne se crée pas en silos. Au contraire, les projets se construisent “à la manière de millefeuilles” (Voyelle Acker). Même si les équipes créatives s’investissent plutôt en amont, elles restent actives et interviennent quasiment jusqu’à la fin. Les phases de préproduction et de production demeurent distinctes, mais l’adaptation artistique se poursuit elle aussi jusqu’au terme.

Ce principe est favorisé par la petite taille des équipes, généralement de l’ordre de 10 ou 15 personnes pour un projet en 3D temps réel, contre souvent plusieurs centaines pour un jeu vidéo ou un film d’animation. Pour l’instant, les œuvres immersives restent la plupart du temps courtes, du fait notamment du seuil de tolérance sous un casque, mais ces petites équipes n’en parviennent pas moins à engendrer des succès artistiques et critiques à l’échelle internationale.

Quelle approche technologique ?

Les studios de réalité virtuelle que nous avons rencontrés affichent le goût de la technique mais sans ivresse de la technique. C’est un trait de caractère marquant. “On fait beaucoup de R&D, on est capable d’aller très haut en termes de technologie, de qualité d’expérience et d’interaction, dit encore Voyelle Acker, mais on doit proposer aux institutions, aux artistes et aux commanditaires des choses “public-proof”, c’est-à-dire éprouvées et qui permettent de faire passer un maximum de gens dans les expériences.”

Nous reviendrons sur cette préoccupation que beaucoup ont exprimée non seulement dans la VR mais aussi dans le jeu vidéo, l’animation et la création numérique au sens large : la poursuite d’une technologie frugale et économe en ressources, et donc d’une forme de symbiose responsable entre la façon de concevoir et d’écrire, l’ambition artistique et visuelle, et les moyens techniques qui en découlent. Mais cette tendance est particulièrement marquée chez les créateurs immersifs, peut-être parce qu’ils sont souvent imprégnés de plusieurs cultures au départ, comme la scénographie, les arts plastiques, l’audiovisuel… où ils puisent des motivations et des priorités différentes.

Quelles fonctions pour une équipe type ?

Beaucoup des métiers qui font la VR aujourd’hui reposent sur des combinaisons de compétences artistiques, techniques, narratives, ainsi que de travail en équipe. Nous avons retenu dix fonctions qui en constituent l’épine dorsale.

Producteur / productrice artistique : la fonction de production est faite de multiples facettes dont une dimension artistique qui prédomine dans les phases initiales d’un projet (conception, préproduction). L’implication concrète des producteurs dans les choix artistiques et de contenu est un gage d’alignement pour les équipes : équilibre entre ambitions créatives, budgets, vision technique…

Auteur·ice et Narratif designer·euse forment un binôme indissociable. En location-based entertainment (expériences en groupes dans un espace partagé incluant des déplacements physiques alors qu’on porte un casque), la fonction de narratif design apporte à l’écriture les compétences touchant à la gestion de l’espace, des mouvements et des déplacements, des points d’intérêt et de la gestion du regard, des actions individuelles ou de la synchronisation de groupe. Elle garantit l’intuitivité et la fluidité de l’expérience, le confort et la sécurité des participants. Elle attire des profils précurseurs qui contribuent à définir les grammaires d’interaction en cours d’adoption dans le domaine.

Game designer / designeuse : ce rôle est indispensable pour les projets à forte dimension ludique, mais couvert par le narratif design dans la plupart des autres cas. ​

Directeur / directrice artistique : c’est la personne qui réalise les concept-arts à partir de mood boards ou de directions graphiques. Elle doit comprendre aussi le code et toutes contraintes techniques et d’usage en aval, car les concept-arts déterminent la modélisation 3D qui doit être à son tour compatible avec les casques autonomes.

Créatif / créative technologue : on en a parlé en détail dans cette précédente série d’articles. On n’en trouve pas encore beaucoup sur le terrain, ou pas toujours reconnus comme tels, mais ils pourraient bien devenir la pierre angulaire des métiers de demain, du moins dans monde de la VR. ​

Développeur / développeuse 3D temps réel : c’est la cheville ouvrière du rapport performance / qualité visuelle sur casques autonomes. Sa compétence inclut notamment des méthodes héritées du jeu vidéo des origines, comme la substitution d’objets par des textures ou des normal maps pour préserver le rendu en utilisant moins de ressources.

Graphiste 3D temps réel : complément indispensable du métier précédent, sa compétence s’étend bien au-delà de la modélisation “low polygon”. Les studios cultivent ces profils dont l’expérience acquiert avec le temps de plus en plus de valeur et fait d’eux des piliers des équipes de production. Leur formation approfondie en amont devient de fait elle aussi cruciale.

Intégrateur / intégratrice de production : assemble chaque scène ou section du programme et assure la qualité des contenus à partir des modèles conçus par les équipes de création et de développement. Elle doit être capable de décliner les ressources qu’on lui confie et de les adapter à chaque contexte particulier, dans le respect des intentions de conception initiales.

Médiation immersive : fonction support en aval de la création, elle conduit les studios à “faire des métiers non prévus au départ : scénographie, design de mobilier, formation et management de médiateurs.” (Chloé Jarry) En ce sens, elle implique des savoirs chez les équipes de création. Elle témoigne aussi de l’importance du lien humain et du partage d’expérience que les créateurs de réalité virtuelle n’entendent pas sacrifier au tout technologique.

Des savoir-faire à fort potentiel d’avenir

En création immersive, la notion d’équipe va durablement rester clé. Même si des grammaires et des formats se dessinent, la plupart des projets restent uniques et pensés comme des œuvres singulières. Pour cette raison, les compétences métiers doivent se doubler d’une forte appétence pour la collaboration créative, chaque savoir-faire se coordonnant et s’appuyant sur les autres. C’est une philosophie propice au développement d’une génération de talents à fort potentiel d’avenir.

Création immersive 1 – De l’humain et des usages : la résistance au metavers

Création immersive 1 – De l’humain et des usages : la résistance au metavers

Avant de nous projeter sur les principaux métiers qui font la création immersive, cet article propose un rapide survol du contexte et des perspectives des studios et des éditeurs de réalité virtuelle en France.

Nous avons échangé sur ces thèmes avec Chloé Jarry, ceo et productrice (Lucid Realities), Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Sébastien Beck, producteur associé (Hyperfiction), Morgan Bouchet, head of global web 3/XR/metaverse (Orange France) et Romain Dudognon, responsable sectoriel innovation (Bpifrance)

Il est intéressant d’écouter les professionnel·les de la création immersive parler de leur vision du présent et de l’avenir car la réalité virtuelle est le premier genre qui soit né alors que la création numérique était déjà largement installée, et avec elle des savoir-faire, des technologies, des formations, des codes culturels, des modèles économiques affirmés et des œuvres en grand nombre. Le jeu vidéo, l’animation, les effets visuels et l’interactivité ont creusé depuis les années 80 un sillon riche de retours d’expérience, la VR est donc en quelque sorte le premier genre 100% “digital native” et qui bénéficie de la trace des pionniers1. Pour mieux la suivre ou pour s’en détacher ?

Composer avec le réel

Soyons précis : la réalité virtuelle est le fruit d’une longue histoire technique depuis ses prémisses en laboratoire, mais il s’est écoulé moins de 15 ans depuis le prototype de l’Oculus Rift en 2010, et tout juste une décennie depuis le rachat d’Oculus par Facebook, marquant le véritable point de départ de perspectives grand public. La création immersive reste donc un secteur en devenir, tributaire des casques de réalité virtuelle dont le succès massif n’est pas encore advenu. Par contraste, il affiche une créativité intense, des recherches techniques et formelles, des niches de marchés ou d’usages chaque jour plus diversifiées et prometteuses. Les entreprises françaises qui s’y développent se caractérisent par de petites équipes découvreuses, qui croisent de multiples cultures.

Parmi les professionnel·les que nous avons rencontré·es, personne ne semble penser que les casques de VR se répandront dans tous les foyers à un horizon proche. Il est plus vraisemblable qu’un dispositif de type lunettes ou lentilles de réalité augmentée s’impose à terme, et ouvre la voie à une ère où de l’information contextuelle se superposera à presque tout ce qui nous entoure. Mais le chemin sera long et sans doute tortueux, en témoigne le récent abandon par Microsoft de son casque de réalité mixte HoloLens sur lequel ce type d’usage avait pu fonder des espoirs.

Le modèle économique des studios et des éditeurs s’inscrit donc pour l’instant dans des contraintes incontournables : le parc de casques disponible dans le monde détermine le marché potentiel. Leur ambition de produire des projets qualitatifs se concrétise par conséquent à travers une démarche d’artisanat haut de gamme et de croissance sur des niches pionnières, tout particulièrement celle des expériences in situ (location-based entertainment).

Une dynamique d’usages

En effet, si le jeu vidéo reste aujourd’hui la principale motivation d’usage, mentionnée par 43% des utilisateurs dans l’étude CNC de juin 2023, une vaste famille d’expériences est également plébiscitée : celle de la réalité virtuelle “située”, c’est-à-dire vécue de façon collective dans un lieu hors du domicile, avec les escape games (29% de citations), les expositions et musées (26%), ou les parcs d’attractions (25%).

Ce domaine est un des moteurs du secteur, qui prend la forme d’expériences avec casques ou de scénographies en volume. Il fait de la réalité virtuelle un domaine naturellement ouvert sur d’autres champs culturels comme la peinture, l’architecture, les reconstitutions historiques, la musique ou le cinéma.

Il réclame aussi l’invention de nouvelles formes de médiations au carrefour des contenus (médiation culturelle), du design d’expérience et de son accompagnement, dans le but de gérer des flux importants de personnes avec la rapidité, le confort et la sensation d’engagement nécessaires. Il est à ce titre intéressant de noter qu’au sortir de l’expérience La Palette de Van Gogh, réalisée et opérée par Lucid Realities au musée d’Orsay, le premier facteur de satisfaction exprimé par les spectateurs portait sur le personnel d’accueil, la fluidité et l’organisation.

Résistance au tout-virtuel

Ainsi le dernier-né des genres numériques fait-il tout pour rester amarré au rivage de la réalité, et pour utiliser la dimension virtuelle avec l’intention d’augmenter les rencontres vivantes et non pas pour les remplacer.
Cela se traduit d’ailleurs jusque dans sa sociologie. Le secteur attire des profils qui ont travaillé pour des marques ou dans l’industrie du jeu, et veulent se rapprocher d’un monde plus culturel par aspiration esthétique et aussi par envie de transmettre, de toucher des publics qui ne vont pas dans les musées. Se rattacher à l’univers culturel est vu comme une “réponse à la difficulté de vivre dans un monde de plus en plus numérique”, un sujet sur lequel nous ne manquerons pas de revenir.

L’importante perspective des plateformes de diffusion

Dans le même temps, le secteur entre dans un moment charnière avec l’émergence de plateformes qui vont permettre à ces expériences de se diffuser largement. Des contenus créés à l’origine pour un lieu et pour un moment spécifiques (par exemple une exposition) peuvent ensuite avoir vocation à se démultiplier. D’où la constitution de catalogues destinés dans un premier temps à toucher d’autres lieux physiques, notamment à l’étranger, et plus tard à restituer les expériences sous forme purement virtuelle au sein d’espaces dédiés qui seront accessibles en ligne.
C’est un enjeu important pour les studios et les éditeurs français, car il s’agit d’un territoire vierge où les positions de demain se jouent en ce moment. Si la France n’a pas conquis de position majeure dans le domaine des plateformes de streaming vidéo, tout reste ouvert dans la VR. Les futures plateformes sont aussi un terrain d’invention en matière de design à la fois pour la mise à disposition, la curation et l’aide au choix, et la transposition des expériences en versions hors-les-murs.

Le métavers aura-t-il finalement raison ?

Par la nature de ses expériences et par ses choix artistiques et ergonomiques, la réalité virtuelle située conquiert des publics de tous âges et de toutes conditions, sans besoin d’apprentissage et avec un fort taux de satisfaction. Cette démarche faite d’inspiration croisée entre domaines artistiques et d’expérience vivante ouverte à toutes les audiences, est un contrepoint salutaire à la promesse d’un métavers massivement virtuel et intégrateur de tous les champs de l’expérience humaine, telle que portée par les géants du numérique.

Quoi qu’il en soit, nos entretiens avec les professionnel·les français·es nous ont convaincus que les profils de compétences que sollicite le secteur de la création immersive à ce jour ont beaucoup de valeur pour la création numérique en général, et surtout une valeur durable. Ils mixent plasticité créative, sobriété technique, design orienté par l’usage ou encore création collective comme nous le verrons dans le prochain article de cette série.

1On peut citer également l’art génératif et dernièrement l’intelligence artificielle créative, mais ces domaines sont de nature différente et ne donnent pas – ou pas encore – naissance à un tissu de studios et un écosystème comme celui que nous considérons ici pour la VR.

Technical artists 3 – Former les nouveaux artisans

Technical artists 3 – Former les nouveaux artisans

Les avis sur les technical artists sont partagés. Faut-il, et peut-on former et intégrer dès maintenant ces talents polyvalents ?

Ont contribué à ces réflexions : Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films), Chloé Jarry, ceo et productrice (Lucid Realities), Antoine Villette, directeur, Microids Studio Paris), Benoît Maujean, directeur de l’équipe recherche (Technicolor Creative Studio), Olivier Reix, cofondateur et producteur digital (Ultranoir)

Ont contribué à ces réflexions : Julien Villedieu, conseil en stratégie et financement pour le jeu vidéo (Level Link Partners), Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films), Chloé Jarry, ceo et productrice (Lucid Realities), Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Pierre Cattan, fondateur, producteur et scénariste (Small Bang), Benoît Maujean, directeur de l’équipe recherche (Technicolor Creative Studio)

Pendant 15 ans à la tête du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo), Julien Villedieu a porté son regard à l’échelle d’une industrie. Sa perspective se fait globale : “Le premier référentiel des métiers du SNJV, en 2012, identifiait une quarantaine de métiers, le nouveau, en 2024, en dénombre plus de 60. En une dizaine d’années, 50% de nouveaux métiers ont émergé, et nombre d’entre eux se caractérisent par des formes d’hybridation. Ce sont des gens chargés de l’IA au niveau de l’infographie, ou des Game Business Designers qui vont intégrer la notion de marketing dans le game design…”

Le métissage des compétences : une tendance

Le métissage des compétences est donc un phénomène quantitatif. Le constat vaut à l’échelle d’une filière, qui plus est celle dont les technologies essaiment désormais vers les autres secteurs de l’image – les VFX, la VR, voire peu à peu l’animation – et dont les mécaniques d’engagement fédèrent de vastes communautés comme Roblox ou Fortnite, enviées par les tenants du métavers.
Alors ?
Alors bien sûr, la création en équipe reste le principe indépassable, avec ses combinaisons de talents et sa fertilité propre. Joëlle Caroline et Chloé Jarry l’ont rappelé avec force, Voyelle Acker le confirme : “Un projet se construit comme un millefeuille, la confrontation créative reste vivante jusqu’à la fin. Perdre cet esprit serait dommage, car la notion de montée en compétences d’un studio est déterminante.”
Toutefois, on peut penser que création collective n’est pas forcément synonyme de séparation des compétences. A elle seule, la place croissante de la technologie dans l’expression artistique ne cessera d’appeler des niveaux d’autonomie technique plus élevés chez les personnels créatifs.

Si Pierre Cattan relève “une évolution majeure de la porosité entre les dimensions artistiques et techniques dans le cadre de la création collective”, c’est sans doute d’abord parce qu’il l’expérimente et la défend sur ses projets : “Il est de moins en moins intéressant de travailler avec des équipes artistique d’un côté et technique de l’autre, au risque de perpétuer le modèle d’exécutants techniques au service d’artistes créateurs. Toutes les fois où j’ai mis en pratique un vrai partage de compétences – tendance forte et présente dans la génération Z – j’ai abouti à la même conclusion : maintenant les bons artistes sont de bons techniciens et inversement. »

Détecter et former ces talents

A l’écoute de ces différents points de vue, nous avons choisi de favoriser la détection et l’éclosion de ces talents hybrides. Il y a plusieurs raisons à cela.
D’abord, ils répondent à une attente de beaucoup de jeunes qui ont par ailleurs des arguments pour y prétendre, ce que nous constatons chaque jour. Croire que les outils suffiraient à fabriquer un artiste est illusoire, mais à l’inverse il est important de reconnaître la capacité que les technologies confèrent, aux jeunes générations en particulier, d’apprendre à exercer très tôt de multiples capacités. Beaucoup de ces jeunes aujourd’hui révèlent ces aptitudes diversifiées qu’on peut voir comme autant de potentialités à travailler et à polir, sans exclusive.
Ensuite, et plus que jamais aujourd’hui, il est crucial de regarder vers l’avenir.
Les cycles d’innovation s’accélèrent, c’est une évidence. Si les profils technico-artistiques prennent toute leur valeur dans les phases d’exploration et d’expérimentation, alors on peut leur prêter beaucoup de valeur tout court, car ces phases sont promises à devenir un état permanent.

Réapprendre une autonomie d’artisan

Enfin, la polyvalence est un facteur d’employabilité durable pour ces futurs professionnels eux-mêmes. Elle conditionne leur capacité d’adaptation aux prochaines vagues d’innovations technologiques mais aussi aux modes de travail de l’avenir, travail en réseau, collaboration à de grands projets structurés comme à des productions agiles en équipes légères. « Une compétence clé des prochaines années, aussi bien pour les entreprises que pour les individus, sera de savoir travailler de manière collaborative et changer très vite d’outil en fonction du contexte créatif ou de production, via des infrastructures cloud », projette Benoît Maujean.
Ce contexte laisse penser que les créateurs d’images de demain seront des artistes programmeurs. Ils rapprocheront deux langages avec une autonomie d’artisans. Pour leur donner les clés de cette autonomie, nous croyons important de former ces nouveaux artisans.

Technical artists 2 – Des profils rares… ou pas toujours reconnus ?

Technical artists 2 – Des profils rares… ou pas toujours reconnus ?

Les TechArts qualifiés sont vus comme des profils peu courants. Cela semble tenir à la particularité des talents requis mais aussi à des raisons plus pratiques : on les valorise dans les phases de changement, on a plus de mal à les intégrer quand il s’agit de (re)produire. Et pourtant ils s’implantent…

Ont contribué à ces réflexions : Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films), Chloé Jarry, ceo et productrice (Lucid Realities), Antoine Villette, directeur, Microids Studio Paris), Benoît Maujean, directeur de l’équipe recherche (Technicolor Creative Studio), Olivier Reix, cofondateur et producteur digital (Ultranoir)

Est-il antinomique d’être à la fois artiste et compétent·e techniquement ?
Dans l’animation, Joëlle Caroline observe que l’essor de technologies de plus en plus accessibles et puissantes auprès de générations touche-à-tout et qui apprennent très vite contribue à une sorte d’illusion que l’outil fait l’artiste. Elle met en garde contre “l’idée que l’expression artistique est à la portée de tout le monde dès lors qu’on maîtrise un outil technique.” Comme productrice, elle sait la difficulté de trouver des artistes forts, or “la technique prend de plus en plus de place mais ne fait ni le talent ni un univers artistique.”

La valeur est d’abord dans l’équipe

A ses yeux, la division des tâches en production est éprouvée et fait sens : “Les profils techniques sont là pour apporter leur expertise à un ensemble. Un monteur ou un rigger contribuent à servir une vision artistique, mais via une compétence avant tout technique.” Mixer les compétences n’apparaît donc pas comme une nécessité dans un processus collaboratif qui fonctionne, c’est toujours l’équipe qui prime. La valeur cardinale est dans l’organisation, la coordination des talents dans un but de création collective.

Chloé Jarry va dans le même sens : “On est toujours dans un travail d’équipe : la réflexion commune entre des personnes différentes qui portent des compétences différentes fait l’intérêt de nos métiers.”

Valorisés comme éclaireurs et défricheurs au cours des phases exploratoires, les TechArts deviennent donc moins prisés lorsque les processus sédimentent et que les chaînes de production atteignent, en même temps qu’elles se stabilisent, la capacité à combiner le meilleur de chaque talent particulier. Pourtant, même à ce stade, ces profils hybrides semblent continuer d’éclore un peu partout. Alors dans quels rôles exactement ?

Des TechArts aux multiples visages

Antoine Villette observe leur intégration dans les studios de jeu vidéo : “On repose de plus en plus sur des postes interstitiels : TechArt 3D, TechArt son, animation ou VFX. Ce sont à la fois des développeurs qui fabriquent des outils, et des gens capables de travailler avec des créateurs pour fournir des solutions, des réponses artistiques.” Il s’agit parfois d’infographistes à l’esprit “bidouilleur” qui découvrent et se forment sur le web, ou, à l’inverse, de développeurs qui expérimentent avec Blender pour comprendre les bases de l’animation… Dans les deux cas, la double compétence qu’ils acquièrent favorise leur évolution vers plus de responsabilité ou des fonctions de management, car ils deviennent capables de guider la conception ou de valider les productions à la fois d’un point de vue artistique et technique.

L’intégration de l’IA générative en production est une autre occasion pour ces profils de s’insérer dans les studios : “On voit naître le besoin de TechArts avec un regard artistique et une compétence de codeurs pour maîtriser l’usage du code génératif, surtout en création d’image”, reconnaît Chloé Jarry. “C’est là qu’est leur valeur ajoutée parce qu’un travail génératif ne peut s’envisager sans vision artistique.” Elle les voit toutefois pour l’instant comme des cas particuliers, “une personne parmi l’équipe et qui ne répond pas à tout.”
Benoît Maujean quant à lui va plus loin en insistant sur la nécessaire maîtrise des fondamentaux de l’image par tous les développeurs d’effets visuels pour le cinéma : “Tout le monde ne doit pas savoir peindre, sculpter ou photographier en lumière réelle, mais la perception en 3 dimensions de la caméra, du décor, des personnages, de leur position relative dans le temps et dans l’espace est une base indispensable.”

Une réalité tangible

En conclusion, peut-être les TechArts sont-ils destinés à demeurer des profils de niche, peut-être leur éclosion est-elle naturellement limitée par le degré d’exigence attaché à chaque métier – remplir une fonction artistique tout comme se tenir à la pointe des évolutions technologiques réclame talent, travail… et une réelle assiduité – mais les cas de cumul d’expertises n’en forment pas moins une réalité tangible, observable sur le terrain, ainsi qu’une aspiration des générations montantes : “Le terme de développeur créatif est très en vogue, je reçois presque tous les jours des CV de jeunes qui s’en réclament”, conclut Olivier Reix.
Alors comment s’en emparer, côté entreprises et côté formation ? Ce sera l’objet du troisième et dernier volet de cette série.

Technical artists 1 – Des explorateurs éclaireurs

Technical artists 1 – Des explorateurs éclaireurs

L’avenir est-il aux profils hybrides, doués en même temps de talent créatif et de compétence en développement logiciel ? Au contraire, expertise singulière et spécialisation des fonctions resteront-elles au cœur des méthodes de production ?
Nous consacrons une série d’articles aux différentes facettes de ce débat en croisant les points de vue de Voyelle Acker, cofondatrice et productrice (Small Creative), Sébastien Beck, producteur associé (Hyperfiction), et Olivier Reix, cofondateur et producteur digital (Ultranoir)
On les appelle creative technologists – en français créatifs technologues – technical artists ou technical directors, optons ici pour le raccourci TechArts. Ils ou elles partagent une appétence artistique forte, le goût du cinéma, de la bande dessinée, de l’animation, du jeu vidéo, et des habiletés créatives qu’ils expriment à travers leur capacité à coder. Pourtant, beaucoup de questions se posent quant à leur place dans les équipes de production et leur avenir au sein des métiers. Mais d’abord, où les rencontre-t-on et comment les caractériser ?

Faire dialoguer l’art et la technologie​

C’est là où de nouvelles expressions et de nouvelles façons de faire s’inventent que les TechArts semblent s’épanouir le mieux. La réalité virtuelle s’y prête tout particulièrement, selon Voyelle Acker : “La VR est en train d’inventer une grammaire et une façon de travailler différentes, avec des process plus agiles qui répondent à des financements plus contraints. Ce qui va être déterminant dans ces métiers du futur se préfigure aujourd’hui, on a donc besoin de gens polyvalents, capables de composer avec des demandes, des usages et des technologies qui évoluent très vite.”
Dans ce contexte, les TechArts sont la pierre angulaire qui fait dialoguer l’art et la technologie : “Toute notre équipe côté artistique a fait du code, et tous nos développeurs ont cette appétence artistique”, ajoute-t-elle.

Une double compétence rare

Sébastien Beck partage la même vision et souligne le besoin “de technical directors capables de comprendre les contraintes du pipeline de développement et de celui d’intégration, d’en déduire la façon de fabriquer, et d’orienter dès l’amont la création artistique de manière adaptée.” Mais aussi cruciale soit-elle, cette double compétence reste une denrée rare, et peu de candidat·es répondent à ce profil.

Un autre secteur met en avant la place des TechArts : celui des agences de communication. Ultranoir a la particularité de développer à titre expérimental des projets créatifs et techniques innovants pour en dériver ensuite de nouveaux outils de communication.

Olivier Reix souligne d’abord qu’en “18 ans d’expérience, [il] n’a croisé que peu de profils capables de programmer des choses complexes avec en parallèle une sensibilité, un œil et une culture artistique forte.” Mais il en apprécie l’intérêt : “En ne segmentant pas les compétences on va plus vite, il n’y a pas de déperdition d’informations entre technicien et créatif.” Le mouvement du No Code et l’intensité d’innovation actuelle jouent aussi en faveur de ces talents, en abaissant la barrière technique et en donnant beaucoup de valeur aux compétences de celles et ceux qui sont capables d’avancer seuls et d’ouvrir des voies créatives.

Pierres angulaires ou simples pierres à l’édifice ?

Nous retenons deux enseignements de ces échanges. D’abord, ces profils hybrides ne peuvent être comparés à aucun autre. Ils créent d’une main et codent de l’autre, et l’une influence l’autre de telle façon qu’au bout du compte ils fonctionnent hors de tout modèle. Et c’est pourquoi ils sont à l’aise en phase d’expérimentation. Leur façon de faire les incline à se risquer, à essayer, et les dispose à inventer. Elle les rend également capables de transmettre et de communiquer fluidement avec d’autres métiers, ce sont des courroies d’entraînement. Des profils précieux…

En contrepartie, on les considère rares et on les regarde en général comme des exceptions ou des talents particuliers, plutôt que comme les produits d’une démarche, d’une trajectoire d’expérience et donc d’une éducation.

D’où les questions auxquelles nous tâcherons de répondre dans deux prochains articles :

  • D’abord, leur intérêt se limite-t-il à un rôle d’éclaireurs dans les moments pionniers, ou bien est-il appelé à se généraliser y compris au sein de pipelines éprouvés et structurés ?
  • Et surtout, cette rareté est-elle intrinsèque et liée à de particulières combinaisons de talents, ou bien de tels profils peuvent-ils être activement formés ?
IA générative 3 – De profonds changements pour l’emploi

IA générative 3 – De profonds changements pour l’emploi

Pour conclure cette analyse des impacts de l’IA générative sur les industries de l’image animée, les professionnels que nous avons interrogés se projettent sur les conséquences pour l’emploi. Les nouvelles qualifications et métiers qui deviennent nécessaires suffiront-ils à compenser ceux que l’IA va remplacer ?

Nous remercions pour leurs apports sur ces thèmes : Joëlle Caroline, fondatrice et productrice (Godo Films) Baptiste Heynemann, délégué général (CST), Pierre Cattan, fondateur, producteur et scénariste (Small Bang), Morgan Bouchet, head of global web 3/XR/metaverse (Orange France)

Comme dans d’autres cas avant elle, la révolution des emplois provoquée par l’IA devrait s’opérer d’abord progressivement, puis se généraliser brusquement. Si nous nous trouvons pour l’instant dans la phase progressive, et s’il est difficile de prédire quand se produira la bascule, il est probable qu’elle se situe avant la fin de la décennie. Alors pour mieux s’y préparer, voici les tendances sur lesquelles les professionnels s’accordent.

Quels métiers sont menacés ?​

Deux catégories sont principalement concernées : d’une part celles pour lesquelles la technologie a d’ores et déjà franchi, ou est en passe d’atteindre son seuil de maturité d’usage, et d’autre part toutes celles où la répétition des tâches l’emporte sur l’adaptation, c’est-à-dire les cas généraux sur les cas particuliers.

La première de ces catégories concerne par exemple le traitement de la voix ou la reconnaissance d’images. Dans ces domaines, la technologie a été portée depuis longtemps par une recherche intensive à la demande de secteurs comme l’e-commerce, la téléphonie, l’industrie photographique, la médecine, etc. Longtemps sous le seuil de qualité exigé par les productions artistiques, elle frappe aujourd’hui à la porte. “Les comédiens qui font de la voix off sont remplacés par des voix artificielles, ça s’entend encore un peu mais dans certains cas presque plus” admet Joëlle Caroline. Même constat chez Baptiste Heynemann : “Les métiers du doublage sont très en danger. Le sous-titrage, c’est déjà fini, sauf pour la production haut de gamme pour l’instant.”
La seconde catégorie est plus disparate, il reste parfois des verrous à lever, mais les promesses de l’IA n’en sont pas moins proches de devenir réalité. “Les tâches routinières et répétitives sont des schémas ; tout ce qui répond à un schéma va être dévolu à une machine” analyse Pierre Cattan.

La notion de schéma est intéressante car elle propose un critère discriminant et objectif. Le montage, par exemple, est un métier artistique, un métier de talent, qui répond toutefois à des codes et des grammaires éprouvées sur des dizaines de milliers d’œuvres depuis l’origine du cinéma : des schémas. L’IA y trouvera nécessairement sa place, et avec efficacité, prédit Baptiste Heynemann : “Un montage en image réelle prend aujourd’hui à peu près deux fois le temps du tournage. Demain, un monteur avec des outils d’IA, d’indexation et de transmission par la voix des instructions de montage le fera probablement dans des délais beaucoup plus courts.”

Une nouvelle littératie ?

Dans ce contexte qui peut paraître pessimiste pour certaines catégories d’emplois, Sébastien Beck et Pierre Cattan se rejoignent pour voir dans les compétences attachées à l’IA une nouvelle littératie qui dessinera la ligne de partage entre les professionnels du futur.

Le premier redoute que fossé s’élargisse “entre les personnes qui auront des compétences élevées dans leur pratique avec l’IA, et celles n’auront pas de valeur ajoutée par rapport à elle. Le talent intermédiaire ne sera plus vraiment reconnu car l’IA occupera cet espace.” Le second avance en écho une proposition radicale : “On doit faire émerger dès à présent de nouveaux techniciens qui auront un regard de DA. Il n’y aura plus d’autre métier, au fond, que directeur ou directrice artistique.”

Ce qu’il faut retenir, c’est que les métiers de l’image devront dans beaucoup de cas se déterminer par rapport à l’IA, soit qu’ils atteignent un niveau d’expertise qui permette de travailler sur elle, soit qu’ils incluent des savoir-faire permettant de travailler avec elle tout en s’étendant au-delà d’elle, dans des sphères de compétence et de talent auxquelles elle ne puisse prétendre.

Travailler avec l’IA

Le défi n’est pas mince mais il vaut d’être relevé, car il en va de la qualité des emplois occupés par les jeunes professionnels qui se forment aujourd’hui, et de la pérennité de leur valeur. “Ils vont devenir des superviseurs, des contrôleurs, renchérit Joëlle Caroline. Le plus important, c’est de former des esprits vifs, avec une sûreté de jugement et une forte capacité à prendre des initiatives. La culture générale va devenir un élément important pour développer une pertinence, l’aptitude à évaluer et à décider en autonomie.
Le nombre de postes risque de se réduire en même temps que certains métiers gagneront en responsabilité ainsi qu’en influence artistique sur le résultat final. Baptiste Heynemann cerne par exemple seulement trois postes clés pour le futur du montage assisté par l’IA : “un réalisateur ou une réalisatrice, un monteur ou une monteuse qui se sera formé·e à la nouvelle génération d’outils, et un·e assistant·e pour opérer l’indexation et organiser le workflow.” Le même type d’évolution pourrait affecter différentes étapes de la production.

Travailler sur ou pour l’IA

En contrepartie, l’IA va réclamer de nouveaux métiers spécifiques pour être intégrée, adaptée et maintenue. La capacité à prompter va ouvrir à une nouvelle génération une porte d’entrée dans les entreprises, mais à plus long terme, le besoin d’ingénierie spécifique s’installera durablement : “Le spectre est large au-delà du prompting”, explique Morgan Bouchet, “il va falloir s’appuyer sur les API des moteurs d’IA afin de les spécialiser et de les intégrer dans des workflows précis.”
Baptiste Heynemann le rejoint : “Comment les studios vont-ils s’approprier l’IA ? On devrait voir apparaître des super-utilisateurs d’IA à double compétence technique et artistique, capables de prompter efficacement à la demande d’un réalisateur ou d’un chef décorateur. En amont, les équipes de R&D utiliseront les technologies disponibles pour packager des “briques de workflow” sous forme de scripts ou prompts intermédiaires, et en aval, les super-utilisateurs ou les personnels artistiques viendront interroger ces ressources.”

Comment former ?

Dans un domaine aussi pionnier, c’est une question passionnante. Nous pensons d’abord qu’il faut partir des cas réels exprimés par les entreprises, d’où l’importance pour nous de ces conversations auxquelles nous invitons chaque professionnel·le intéressé·e à se joindre. Et nous croyons aussi que l’expertise s’invente à tous les bouts de la chaîne, y compris à l’initiative des générations qui arrivent et s’emparent sans réserve des outils.

Une telle transition à l’échelle d’une industrie entière ne peut se réussir que collectivement et créativement. C’est l’idée que reflètent nos méthodes pédagogiques et que nous développerons dans un prochain article.

découvrir les formations IA & Métiers de l’Image de La Plateforme_